Emil, 72 ans, souffre d’arthrose et consulte plusieurs rhumatologues sans passer par son médecin généraliste, recevant trois diagnostics différents. Ce parcours médical complexe génère des traitements variés et des effets secondaires, augmentant les factures médicales. Le phénomène des « hoppers » de médecins, bien que moins répandu en Suisse, soulève des questions sur l’efficacité des soins. Les médecins constatent une hausse des consultations, tandis que les patients semblent perdre en compétences de santé, exacerbée par des évolutions sociétales.
Des douleurs persistantes et une raideur matinale : tels sont les symptômes caractéristiques de l’arthrose. Emil, un homme de 72 ans, en fait l’expérience au quotidien. Bien que son rhumatisme soit localisé principalement dans la hanche et le genou droit, il a récemment commencé à éprouver des troubles de la sensibilité au niveau des mains.
Un parcours médical complexe
Au total, Emil a consulté quatre rhumatologues sans passer par son médecin généraliste, ce qui est tout à fait légal grâce à son choix de modèle de libre choix auprès de sa caisse d’assurance maladie. Cependant, ce qui s’ensuit est presque décourageant : il reçoit trois diagnostics distincts.
Deux des spécialistes évoquent un rhumatisme des tissus mous, tandis que le troisième parle de polyarthrite et le quatrième conclut à la fibromyalgie. Ces diagnostics variés entraînent des traitements différents, et les médicaments prescrits provoquent chez Emil des effets secondaires indésirables, le poussant à multiplier les visites médicales et à consulter frénétiquement Dr. Google. Bien que ses douleurs persistent, les factures médicales continuent de s’accumuler.
Est-ce qu’Emil est un « hopper » de médecins ? Est-il en train de faire grimper les coûts pour les caisses d’assurance maladie car un seul diagnostic ne lui suffit pas ? Est-il à deux doigts d’être soumis à un modèle d’économie ?
Des critères d’efficacité en question
Récemment, le Tribunal fédéral a statué sur un cas similaire, impliquant une cliente de Helsana qui avait reçu « différentes prestations médicales non coordonnées ». Le tribunal a déterminé que l’assurance maladie ne doit couvrir que les soins fournis par un point de contact initial ou prescrits par celui-ci.
Dans cette affaire, la cliente souffrait d’un trouble de la personnalité complexe et avait consulté divers professionnels de santé sans coordination, cherchant notamment à se faire réduire l’estomac. L’assurance maladie, alertée par le volume élevé de factures, a orienté la patiente vers un médecin de confiance, qui a conclu, grâce à un rapport externe, que les traitements ne répondaient pas aux critères d’efficacité, d’appropriation et d’économie requis pour la couverture par l’assurance maladie obligatoire.
Désormais, cette patiente doit consulter un institut pluridisciplinaire spécifique où des médecins et psychiatres, familiers avec son dossier médical, suivent son parcours. Contrairement à d’autres patients, elle ne peut pas changer d’institut à sa guise et ne bénéficie pas non plus de réductions de prime.
Les « hoppers » de médecins sont, par définition, des patients qui consultent de multiples prestataires pour la même affection dans l’espoir d’obtenir des traitements spécifiques ou des interventions chirurgicales. La plupart de ces cas peuvent être regroupés en trois catégories : ceux souffrant de troubles de la personnalité, les hypocondriaques qui se croient constamment malades, et ceux dépendants des prescriptions médicales, notamment d’analgésiques ou de tranquillisants.
Yvonne Gilli, présidente de l’Association des médecins suisses (FMH), souligne que le phénomène des « hoppers » de médecins n’est pas aussi répandu en Suisse qu’on pourrait le croire, ce qui laisse peu de place à des études approfondies sur le sujet.
Brigitte Berger Kurzen, experte en assurance maladie chez Helsana, rappelle que les « hoppers » ne doivent pas être confondus avec ceux qui cherchent un second avis médical, cette démarche pouvant souvent éviter des traitements inutiles. Le cas examiné par le Tribunal fédéral était extrême et ne pouvait plus être soutenu.
La définition du terme « hopper » est floue, et la distinction entre un patient multipliant les consultations et un simple demandeur de second avis n’est pas toujours claire. Bien qu’Emil ait consulté plusieurs spécialistes, il ne correspond pas encore au profil d’un « hopper », mais cette situation complique le travail des médecins.
Selon les données de la FMH, le nombre de consultations par médecin généraliste a de nouveau augmenté en 2023, atteignant une moyenne de 6409 contacts par cabinet, soit une hausse de 26 % par rapport à 2018, sans perspective de changement à l’horizon.
Josef Widler, médecin généraliste à Zurich, témoigne de la situation d’Emil. Il observe que les patients sont souvent rapidement renvoyés vers des spécialistes, ce qui contribue à un phénomène qu’il qualifie de « Hirslandisation », du nom d’une clinique privée qui emploie plusieurs spécialistes pour chaque pathologie.
Widler note également une diminution des compétences en santé des patients, attribuable à des évolutions sociétales. Par exemple, des jeunes adultes peu familiers avec les soins aux enfants peuvent se sentir dépassés lors de leurs premières expériences parentales.