Les discussions de coalition en Allemagne soulèvent la possibilité de retirer la nationalité allemande aux personnes ayant une double nationalité, notamment celles soupçonnées de soutenir le terrorisme. Cette initiative suscite des inquiétudes parmi les double-nationaux et des juristes, qui craignent une violation des droits fondamentaux. Environ 5,8 millions de personnes en Allemagne détiennent une double nationalité, et beaucoup, comme Bilal Shabib, ressentent une dévalorisation de leur statut. Le débat pourrait également ouvrir la voie à des abus futurs sur le droit à la nationalité.
Durant les discussions de coalition en cours, la question de la possibilité de retirer la nationalité allemande aux personnes ayant une double nationalité est soulevée. Cette perspective choque de nombreux double-nationaux, tandis que des juristes constitutionnels expriment leurs inquiétudes.
Une déclaration controversée a émergé dans le document d’exploration de l’Union et du SPD : ‘Nous allons analyser sous un angle constitutionnel si le retrait de la nationalité allemande est envisageable pour les individus soutenant le terrorisme, les antisémites et les extrémistes qui plaident pour l’abolition de l’ordre démocratique, à condition qu’ils possèdent une autre nationalité.’
Les résultats confidentiels du groupe de négociation ‘Intérieur, Droit, Migration et Intégration’, en possession de Monitor, révèlent que l’Union souhaite conserver la possibilité de retirer la nationalité allemande. Malgré les réticences du SPD, l’Union reste déterminée. Ce projet s’inscrit dans les promesses électorales de Friedrich Merz et Markus Söder.
D’autres points de désaccord au sein des groupes de travail de l’Union et du SPD ont été résolus, notamment dans le groupe de travail sur les finances.
Les Allemands de seconde classe ?
Pour les double-nationaux, cette initiative engendre une grande incertitude. Par exemple, Bilal Shabib, 46 ans, père de quatre enfants et développeur de logiciels, a grandi en Allemagne. Fils de parents syriens, il détient officiellement les deux nationalités bien qu’il n’ait jamais mis les pieds en Syrie. Le fait que des discussions soient en cours sur la possibilité de lui retirer sa nationalité allemande l’inquiète profondément. Bien qu’il n’ait jamais eu de problèmes judiciaires, il se sent dévalorisé en tant qu’Allemand de seconde classe. ‘Je suis Allemand, mais j’ai l’impression que ma sécurité est remise en question,’ confie Shabib.
Ce débat illustre l’évolution du discours en Allemagne, selon la sociologue et criminologue Gina Wollinger de l’École supérieure de police et d’administration publique de Cologne dans une interview avec Monitor. Elle souligne que l’on donne l’impression que la nationalité allemande des double-nationaux ne détient pas la même valeur, suggérant qu’il existe des Allemands moins ‘allemands’ que d’autres.
Avec l’association présumée entre sécurité intérieure et nationalité, les partis en négociation véhiculent un message alarmant aux personnes détenant deux nationalités.
Une interdiction constitutionnelle
Des objections constitutionnelles se posent également, car l’article 16 de la loi fondamentale interdit le retrait de la nationalité. Les rédacteurs de cette loi souhaitaient éviter que le droit à la nationalité soit utilisé comme un moyen politique et que des individus soient privés de leurs droits civiques en raison de leur origine, de leurs opinions politiques ou de leur religion. Sous le régime nazi, les Juifs et les opposants politiques avaient été systématiquement dépouillés de leur nationalité.
Actuellement, des individus peuvent perdre leur nationalité allemande, mais uniquement si cela ne les rend pas apatrides, comme lorsqu’ils s’engagent volontairement auprès d’une organisation terroriste ou d’un autre État. Par ailleurs, une naturalisation peut être annulée dans les dix ans si la personne a trompé ‘de manière frauduleuse’ lors du processus.
Bien que Merz n’ait pas souhaité que la migration soit au cœur du débat, ses récentes déclarations semblent dire le contraire.
Une boîte de Pandore ouverte
Les propositions actuelles issues des négociations de coalition entre l’Union et le SPD vont cependant bien au-delà et pourraient constituer une remise en cause des principes de la loi fondamentale, selon Thomas Groß, juriste et professeur à l’Université d’Osnabrück, dans une interview avec Monitor.
Si la nationalité est utilisée comme un outil contre l’extrémisme et le terrorisme, cela ‘ouvrirait la boîte de Pandore’. Cette possibilité pourrait être exploitée par des forces d’extrême droite à l’avenir pour des objectifs totalement différents, laissant entendre au public qu’il est acceptable de retirer la nationalité à certains groupes jugés indésirables, selon Groß.
Ni dans le document d’exploration ni dans les résultats du groupe de négociation sur la migration, les termes ‘extrémisme’, ‘antisémitisme’ ou ‘soutien au terrorisme’ ne sont clairement définis. Pour le juriste, cette ambiguïté pose un problème sérieux : ‘Il n’existe pas de critères clairement définis, rendant la distinction avec la liberté d’expression très complexe.’
La nouvelle législation sur la nationalité vise à accélérer le processus de naturalisation, notamment pour les professionnels qualifiés.
Des millions de personnes face à un dilemme
En Allemagne, environ 5,8 millions de personnes détiennent une double nationalité, bien que les chiffres précis soient difficiles à établir. Beaucoup de résidents possèdent également des nationalités polonaises, italiennes ou turques. Récemment, un nombre croissant de personnes provenant de Syrie ou d’Afghanistan ont également été naturalisées. Ces groupes, ainsi que ceux en provenance d’Iran, de Tunisie, de Costa Rica ou des Maldives, ne peuvent pas renoncer à leur seconde nationalité, comme indiqué par le ministère des Affaires étrangères sur son site.
Bilal Shabib ne peut pas non plus abandonner sa nationalité syrienne. Le climat actuel et la tension envers les personnes d’origine migrante en Allemagne l’ont profondément déçu. Comme beaucoup autour de lui, il envisage la possibilité de quitter l’Allemagne pour un avenir meilleur pour sa famille : ‘En tant que développeur de logiciels dans le domaine de l’intelligence artificielle et de la réalité virtuelle, je peux travailler de n’importe où. Je n’ai pas besoin de rester en Allemagne.’
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Ce thème sera abordé par ‘Monitor’ sur ARD le 27 mars 2025 à 21h45.