Agnès Pannier-Runacher, un logement chez les Dassault et beaucoup de questions

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C’est un nouveau caillou dans la chaussure d’Agnès Pannier-Runacher, déjà fragilisé par les révélations de Disclose sur l’héritage fiscal optimisé de ses enfants.

La ministre de la Transition énergétique est logée depuis mai 2021 par la famille du grand industriel français Dassault, dans une jolie maison en brique du centre-ville de Lens, a informé POLITICO à partir de documents publics.

Ministre de l’Industrie à l’époque de cette domiciliation, elle nous affirme via son entourage n’avoir rien su de l’identité de ses bailleurs, les héritiers d’Olivier Dassault, fils aîné de Serge Dassault décédé accidentellement en mars 2021 et par ailleurs député Les Républicains.

« Agnès Pannier-Runacher a emménagé chez son nouveau compagnon à Lens en mai 2021 qui occupait ce bien depuis 2017 », explique l’entourage de la ministre. « Elle n’avait pas connaissance du propriétaire de la maison, sachant seulement que son compagnon acquittait un loyer chaque mois ».

La famille Dassault contrôle le groupe du même nom via une holding familiale dont les descendants de Serge Dassault sont les héritiers. Olivier Dassault avait quitté en 2018 ses fonctions au sein de ses structures dirigeantes pour cause d’incompatibilité avec son mandat de député. Il est resté actif dans les domaines de la défense en tant qu’élu, jusqu’à sa mort en 2021. La ministre avait alors rendu hommage à un “ami délicat”.

A l’époque de son emménagement, la ministre de l’Industrie était amenée à commenter les activités du groupe. Elle s’était par exemple félicitée dans le cadre de ses fonctions des nouvelles commandes engrangées par Dassault.

En installant sa résidence principale à Lens, Agnès Pannier-Runacher rejoint Nicolas Bays, son compagnon déjà installé dans la maison depuis juin 2017. C’est cette même année que la société civile immobilière, alors encore gérée par Olivier Dassault, a acheté le bien .

Ex-député du Parti socialiste, Nicolas Bays a travaillé à partir de 2020 pour le ministère de l’Industrie, en tant que conseiller politique puis chef de cabinet d’Agnès Pannier-Runacher, sans signaler le lien immobilier qui l’unissait à Olivier Dassault, avec lequel il affichait des liens amiaux dans diverses publications Twitter — effacées depuis. Tous deux ont été par exemple vice-présidents du groupe d’amitié France-Qatar à l’Assemblée.

« Etant titulaire d’un bail classique, payant régulièrement mon loyer, et cette situation n’étant pas mentionnée dans le guide HATVP, il ne m’a pas semblé nécessaire de la déclarer », justifie Nicolas Bays. Ce dernier affirme par ailleurs avoir « engagé des démarches auprès de cette SCI pour faire l’acquisition de ce bien », précisant qu’une « expertise indépendante pour en fixer la valeur au prix du marché a été finalisée par le notaire qui gère la succession [d’Olivier Dassault] en juin 2022 » — une procédure courante dans le cadre d’une succession.

Aussi contactée, la famille d’Olivier Dassault n’a pas encore réagi.

Risque de conflit d’intérêts

Pour prévenir les risques de conflits d’intérêts, 17 000 responsables publics sont tenus depuis cinq ans de déclarer auprès de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) leur situation patrimoniale au début et à la fin de leur mandat, c ‘est-à-dire les biens immobiliers, dettes et valeurs mobilières (assurances-vie, véhicules et comptes bancaires). Ils doivent aussi déclarer leurs intérêts, c’est-à-dire leur activité professionnelle, celle de leur conjoint, ainsi que les actions détenues dans des sociétés ou des actions bénévoles auprès d’associations.

Le ministre comme son chef de cabinet n’était donc tenu de déclarer ses liens avec la famille Dassault, hors du champ des règles actuelles.

Béatrice Guillemont, directrice générale d’Anticor, relève néanmoins que le conflit d’intérêts est qualifié, selon la loi, par « toute situation d’interférence entre un intérêt public et des intérêts publics ou privés qui est de nature à influencer ou à paraître » influencer l’exercice indépendant, impartial et objectif d’une fonction ».

Pour la juriste, la question se pose de savoir pourquoi Nicolas Bays n’a pas jugé nécessaire de signaler à sa supérieure, alors ministre de l’Industrie et compagnie, qu’ils étaient domiciliés dans une maison appartenant à l’un des plus gros industriels français.

« On ne doit pas attendre que ça tombe sous le coup de la loi relative à la transparence de la vie publique pour déclarer un certain nombre d’intérêts ou d’activités, sinon on est seulement légal », ajoute Béatrice Guillemont. « Démontrer son attachement à l’éthique dans la vie publique n’est pas quelque chose de passif mais d’actif, ça consiste à sans cesse réinterroger ses choix et actions et par retour réflexif, faire correspondre cela au respect des exigences de probité. ”

L’affaire souligne la zone grise que constituent certains privilèges, parfois indirects, entre responsables politiques et acteurs économiques de premier plan directement concernés par leurs décisions.

Au-delà des obligations légales, « l’exercice de la déclaration d’intérêt doit être l’occasion de s’interroger », aussi bien pour un ministre que pour ses conseillers, plaide Jean-François Kerléo, de l’Observatoire de l « Éthique publique. Il regrette aussi le manque de moyens de la HATVP, qui doit se contenter de vérifier les faits rapportés sans vraies possibilités de recherche.

« Il y a une urgence à mettre en place un déontologue du gouvernement », suggère pour sa part Patrick Lefas, président de Transparency International France, qui estime qu’une telle fonction devrait même accompagner les ministres sur ces questions. Lefas déplore toutefois la « légèreté » récurrente avec laquelle ces questions sont prises par les membres du gouvernement.

Paul de Villepin a pensé à l’enquête pour cet article.

Cet article fait partie de POLITICO Pro.

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