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Discours de Christine Lagarde, présidente de la BCE, lors de l’audition de la commission des affaires économiques et monétaires du Parlement européen

Bruxelles, le 15 février 2024

L’audition d’aujourd’hui est la dernière avant la fin de cette législature.

Permettez-moi donc de commencer par vous remercier tous sincèrement pour le dialogue constructif que nous avons eu au cours des dernières années.

Cette législature a été façonnée par des crises – de la pandémie de COVID-19 à l’invasion de l’Ukraine par la Russie, en passant par la crise énergétique et la reprise du conflit au Moyen-Orient. Ces défis ont obligé les institutions de l’UE, dans le cadre de leurs mandats respectifs, à prendre des mesures décisives et à se coordonner étroitement dans tous les domaines politiques pour garantir que l’Europe en ressorte plus forte et mieux préparée pour l’avenir.

Il est important de noter que nos deux institutions ont également utilisé leur mandat précédent pour approfondir leur relation en matière de responsabilité, essentielle à la légitimité démocratique de la BCE.

Dans mon allocution d’aujourd’hui, je vous informerai d’abord de notre dernière évaluation des perspectives économiques et des récentes décisions de politique monétaire de la BCE. Je réfléchirai ensuite aux 25 premières années de l’euro, que vous avez choisis comme thème de cette audition.

Perspective économique

Après une croissance de 3,4 % en 2022, l’activité économique de la zone euro a été faible en 2023, la croissance du PIB réel ayant stagné au dernier trimestre. La faiblesse de l’activité est généralisée à tous les secteurs, allant de la construction et de l’industrie manufacturière aux services.

Les données entrantes continuent de signaler une activité modérée à court terme. Toutefois, certains indicateurs prospectifs d’enquête laissent entrevoir une reprise au cours de l’année à venir.

Selon la dernière estimation flash, l’inflation a légèrement diminué pour s’établir à 2,8 % en janvier 2024, après avoir augmenté d’un demi-point de pourcentage en décembre. Le rebond de décembre était largement attendu, mais il a été plus faible que prévu. Cette augmentation reflète des effets de base dans la composante énergétique dus à des mesures ponctuelles de soutien des prix du gaz en Allemagne et à une baisse importante des prix des carburants en décembre 2022. L’inflation des produits alimentaires s’est encore ralentie pour atteindre 5,7 % en janvier en raison d’un taux d’inflation plus faible pour les aliments transformés, tandis que l’inflation énergétique s’est établie à -6,3%.

L’inflation sous-jacente (hors énergie et alimentation) diminue progressivement, mais sa composante services a montré des signes de persistance.

La croissance des salaires continue d’être forte et devrait devenir un moteur de plus en plus important de la dynamique de l’inflation au cours des prochains trimestres, reflétant les tensions sur les marchés du travail et les demandes d’indemnisation des travailleurs en cas d’inflation.

L’outil de suivi des salaires de la BCE continue de signaler de fortes pressions salariales, mais les accords indiquent une certaine stabilisation au dernier trimestre 2023. Les pressions salariales pour 2024 dépendent notamment de l’issue des cycles de négociations en cours ou à venir qui touchent une grande partie des salariés de la zone euro. La contribution des bénéfices unitaires aux pressions sur les prix intérieurs a continué de diminuer, ce qui donne à penser que, comme prévu, les augmentations de salaires sont au moins en partie amorties par les marges bénéficiaires.

Dans l’ensemble, les dernières données confirment le processus de désinflation en cours et devraient nous faire baisser progressivement davantage au cours de 2024, à mesure que l’impact des chocs haussiers passés s’estompe et que les conditions de financement serrées contribuent à faire baisser l’inflation.

La politique monétaire de la BCE

Lors de notre réunion du Conseil des gouverneurs de janvier, nous avons considéré que les informations reçues étaient globalement conformes à notre évaluation de décembre des perspectives d’inflation à moyen terme. Nous avons donc décidé de maintenir nos taux directeurs inchangés.

Ces taux d’intérêt se situent à des niveaux qui, maintenus pendant une durée suffisamment longue, contribueront substantiellement à garantir que l’inflation revienne en temps opportun à notre objectif de 2 % à moyen terme. Le processus désinflationniste actuel devrait se poursuivre, mais le Conseil des gouverneurs doit être sûr qu’il nous permettra d’atteindre durablement notre objectif de 2 %. Nous continuerons de suivre une approche fondée sur les données pour déterminer le niveau et la durée appropriés des restrictions, en tenant compte des perspectives d’inflation, de la dynamique de l’inflation sous-jacente et de la force de la transmission de la politique monétaire.

25 ans de l’euro

Permettez-moi maintenant d’aborder le sujet de cette audition : l’euro à 25 ans, la plus jeune des monnaies de réserve internationales.

Bien qu’encore jeune, l’euro a néanmoins mûri et est devenu un élément indispensable de notre vie quotidienne.

Son parcours, du rêve de quelques fondateurs visionnaires à une monnaie utilisée par 350 millions de personnes dans 20 pays, témoigne de la puissance et de l’impact du projet européen.

Au cours de sa première décennie, son enfance pour ainsi dire, l’accent a été mis sur l’établissement de la crédibilité de la BCE en tant que nouvelle banque centrale et de l’euro en tant que nouvelle monnaie.

Sa deuxième décennie, sa jeunesse, a été caractérisée par les conséquences de la crise financière mondiale et de la crise de la dette souveraine qui a suivi, qui ont conduit à des efforts européens concertés pour renforcer l’architecture de l’Union économique et monétaire, notamment par la création du mécanisme de surveillance unique.

La troisième décennie, au début de la vingtaine, a été façonnée par les défis posés par la pandémie, le changement climatique, les tensions géopolitiques et la nécessité d’éviter une inflation élevée. Ces chocs ont mis en évidence la nécessité de disposer de nouveaux outils européens pour accélérer les transitions verte et numérique et renforcer l’indépendance énergétique et la résilience globale de l’Europe.

En tant que compagnon constant, l’euro nous connecte tous et offre trois avantages clés : simplicité, stabilité et souveraineté.

Simplicité car il peut être utilisé par les consommateurs et les entreprises de toute la zone euro sans avoir à changer de devises, ce qui facilite la vie, les voyages et les affaires dans cette zone. Cela se reflète également dans le large soutien à l’euro, avec 79 % des citoyens de la zone euro favorables à la monnaie unique.[1]

La stabilité car, malgré les récentes fluctuations et chocs de prix, l’inflation dans la zone euro s’élève en moyenne à 2,1 % depuis 1999 et, plus important encore, les anticipations d’inflation à long terme sont restées largement ancrées autour de l’objectif de la BCE. C’est un témoignage de la crédibilité de la BCE.

La souveraineté parce que l’euro est la deuxième monnaie mondiale. Il est utilisé dans les transactions internationales et protège donc les consommateurs et les entreprises de la zone euro des fluctuations monétaires dans un monde de plus en plus turbulent.

L’euro a donné des résultats dans tous ces domaines et a démontré à plusieurs reprises sa résilience et sa fiabilité face à des défis importants.

Ce Parlement a joué un rôle central dans le renforcement des fondations de l’euro au fil des années, notamment au cours de cette dernière législature. Votre travail pour mettre en place Next Generation EU, réformer le cadre de gouvernance économique, approfondir l’union des marchés des capitaux et l’union bancaire, concevoir le cadre juridique d’un euro numérique et lutter contre le changement climatique a jeté les bases qui garantiront que l’euro soit adapté à l’avenir.

La BCE a également joué son rôle et démontré sa détermination à remplir son mandat dans un environnement en constante évolution.

Pour rappel, permettez-moi de souligner trois façons dont nous l’avons fait ces dernières années.

Premièrement, nous sommes restés inébranlables dans notre engagement envers notre mandat premier, à savoir la stabilité des prix, en répondant avec force à la montée de l’inflation consécutive à l’invasion de l’Ukraine par la Russie et à la crise énergétique qui a suivi.

Deuxièmement, nous avons pris des mesures pour intégrer les considérations liées au changement climatique dans nos opérations de politique monétaire et, ce faisant, nous contribuons à atteindre les objectifs énoncés dans l’Accord de Paris, dans le cadre de notre mandat. Notre annonce de janvier a réaffirmé et élargi nos travaux sur le changement climatique et la dégradation de la nature, tant dans nos activités de politique monétaire que de surveillance, en mettant particulièrement l’accent sur la transition verte, l’impact physique du changement climatique et les risques liés à la nature pour l’économie et le système financier.[2]

Troisièmement, nous progressons dans le développement d’un euro numérique, qui renforcerait notre autonomie stratégique et soutiendrait notre compétitivité dans un monde numérisé. Vous avez discuté de ce sujet important avec M. Cipollone hier et je voudrais vous remercier tous pour votre étroite coopération sur ce sujet au cours des dernières années.

Alors que nous envisageons les 25 prochaines années de l’euro, je peux vous assurer que la BCE continuera à collaborer étroitement avec le Parlement européen, à répondre aux nouveaux défis et à revoir constamment ses actions pour garantir qu’elle puisse continuer à remplir son mandat.

Conclusion

Permettez-moi maintenant de conclure.

Les 25 premières années de l’euro ont été un succès, mais notre travail n’est pas terminé. L’Union économique et monétaire n’est pas une fin : chaque génération européenne doit écrire son propre chapitre de l’histoire de la monnaie unique.

Avec l’émergence d’un nouveau paysage géopolitique, les raisons de renforcer notre monnaie commune sont plus fortes que jamais.

Comme Goethe l’a écrit un jour : « Ce qui n’est pas commencé aujourd’hui ne sera jamais terminé demain ».

Les prochaines élections européennes seront l’occasion de définir un nouvel agenda ambitieux pour approfondir davantage notre Union économique et monétaire. Il est essentiel que tous les décideurs politiques saisissent cette opportunité pour garantir que l’Europe puisse répondre aux défis communs auxquels nous sommes confrontés.

Merci pour votre attention. Je suis maintenant prêt à répondre à vos questions.

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