Inquiets pour l’avenir, les jeunes français se battent contre la réforme des retraites

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Les jeunes en France – y compris certains qui ne sont même pas encore entrés sur le marché du travail – ont protesté jeudi contre la volonté du gouvernement de relever l’âge de la retraite. FRANCE 24 s’est entretenue avec un expert des questions d’emploi en France pour mieux comprendre ce phénomène.

L’un des éléments les plus controversés de la réforme controversée des retraites du gouvernement français est l’augmentation de l’âge légal de la retraite de 62 à 64 ans, ce qui semblerait normalement bien loin de l’esprit des jeunes. Jeudi, cependant, des étudiants ont bloqué l’accès à certaines universités et lycées, et des manifestations dirigées par des jeunes ont eu lieu à Paris et à Lyon dans le cadre de grèves et de manifestations nationales contre le projet de loi sur les retraites en cours de débat au parlement.

Pour une génération déjà préoccupée par l’inflation, les perspectives d’emploi incertaines et le changement climatique, le projet de loi sur la retraite soulève des questions plus larges sur la valeur du travail. FRANCE 24 s’est entretenu avec Marc Loriol, sociologue et chercheur au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et auteur de Les vies prolongées des usines Japy (« La longue vie des usines Japy ») qui étudie le rapport entre les Français et le monde du travail.

FRANCE 24 : Quelle est la particularité des Français et de leur rapport au travail ? Qu’est-ce qui motive les gens ici à se battre pour leurs droits ?

Marc Loriol : Les Français sont beaucoup plus attachés à leur lieu de travail que leurs homologues des autres pays européens et nord-américains en raison de notre héritage social et culturel. Une étude menée par le philosophe Dominique Méda a montré que les salariés français sont par conséquent beaucoup plus critiques vis-à-vis des évolutions du travail. Les Français attendent beaucoup de leur lieu de travail ; le travail n’est pas qu’une question d’argent, c’est un épanouissement personnel, un sens du but… Ainsi, les gens ici souffrent profondément lorsqu’ils ne reçoivent pas la reconnaissance et la rémunération adéquates de leur lieu de travail.

Même si le projet de réforme des retraites n’affecte pas directement les jeunes dans un avenir proche, ils font entendre leur voix lors de manifestations à travers le pays ces dernières semaines. Qui sont-ils et pourquoi ?

Marc Loriol : Je voudrais tout d’abord souligner les fortes disparités entre les différents groupes de jeunes en France. Vous avez des diplômés universitaires, qui commencent leur premier emploi plus tard dans la vie, et il y a de jeunes ouvriers d’usine, qui ont commencé beaucoup plus tôt.

Et bien sûr, cela signifie qu’ils seront touchés différemment par la réforme des retraites proposée par le gouvernement. Ceux qui débutent relativement tard dans la vie seront relativement épargnés par le relèvement de l’âge légal de la retraite, puisqu’ils doivent déjà travailler plus longtemps que cela (pour accumuler les 172 trimestres, soit 43 ans, pour le régime à taux plein). Mais les jeunes ouvriers d’usine, déjà en situation de précarité, seront sans doute impactés.

D’une part, les jeunes ouvriers d’usine, bien qu’ils soient l’une des plus grandes victimes de la réforme, appartiennent malheureusement à une classe de travailleurs qui n’ont pas les moyens de faire grève. La plupart d’entre eux sont en contrat à durée déterminée, certains sont même en intérim. Se mettre en grève ou même se syndiquer représente un trop grand risque pour eux. Ils craignent que cela ne mette en péril leur carrière professionnelle déjà bien fragile.

Les étudiants universitaires, en revanche, sont beaucoup plus susceptibles de participer à des manifestations. Habituellement, ils possèdent beaucoup de capital culturel et financier qui leur permet cette liberté. Même ceux qui ont de plus petits moyens financiers peuvent se retrouver à participer à des manifestations. Souvent issus de la classe moyenne, avec des parents occupant des emplois de bureau à col blanc et gagnant un salaire moyen à la maison, ces étudiants sont les témoins directs de la détérioration des conditions de travail et de la stagnation des salaires. Ainsi, ils sont terrifiés par l’avenir, ne sachant pas si leurs études les mèneront ou non à de bons emplois, s’ils réussiront ou non dans la vie… La proposition de réforme des retraites du gouvernement exacerbe encore cette peur de devoir travailler encore plus d’années sous aggravation des conditions.

Ensuite, vous avez des étudiants des universités d’élite (grandes écoles) issus de parents aisés exerçant généralement des professions prestigieuses. Aspirant à suivre les traces de leurs parents en poursuivant des emplois bien rémunérés dans des domaines tels que le droit, la finance, l’ingénierie, etc., ces étudiants peuvent se sentir indifférents vis-à-vis de la proposition de réforme des retraites du gouvernement et sont donc plus susceptibles de s’abstenir de se joindre aux manifestations.

De plus, il faut tenir compte du fait que la majorité des jeunes imitent leurs parents en termes d’affiliations politiques. Des études ont montré que les jeunes dont les parents penchent vers la droite de l’échiquier politique tendent eux-mêmes à être de droite ; idem pour la gauche.

En raison des problèmes d’inégalité, de guerre et de droits de l’homme, les protestations des jeunes ont balayé l’hémisphère occidental dans les années 1960 et 1970 et ont profondément modifié notre paysage culturel. Un contexte similaire semble se développer actuellement avec une guerre en cours en Europe, une inflation élevée, le changement climatique et une éventuelle réforme des retraites. Pensez-vous qu’il y ait une possibilité que des manifestations massives de jeunes comme celles que l’on a vues en France en mai 68 éclatent ?

Marc Loriol : Il est très difficile de prédire l’avenir, bien sûr. Par exemple, nous pensions que les manifestations du « gilet jaune » en 2018 a marqué la fin des syndicats, mais regardez-les maintenant. Regardez les manifestations de mardi… They sont de retour sur leurs pieds.

Une chose que je peux dire avec certitude, c’est que le mécontentement monte parmi les jeunes générations, en particulier parmi la classe ouvrière. C’est évident. Les enfants de cols bleus grandissent pour se rendre compte qu’ils dépassent à peine leurs parents en termes de perspectives d’emploi et de rémunération, malgré leur éducation.

Malgré leurs diplômes, ils n’en font pas plus et cela se traduit par un profond sentiment de frustration et de colère.

Nous ne pouvons pas savoir si cela se transformera ou non en manifestations comme celles de mai 68, mais le gouvernement fait un pari dangereux en espérant que tout cela explosera bientôt.

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