La lutte intégrée peine à gagner du terrain en France


La lutte intégrée contre les ravageurs (IPM) peine à gagner du terrain en France, bien qu’elle soit promue à la fois par l’UE et les autorités françaises et qu’elle ait des avantages avérés pour les agriculteurs et l’environnement.

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L’IPM consiste en une grande variété de stratégies telles que la rotation des cultures, la réduction de la densité des grains et le remplacement des pesticides chimiques – qui nécessitent toutes de considérer l’écosystème dans son ensemble.

Cependant, ces pratiques ne sont pas très répandues en France.

Alors que les ventes de produits phytosanitaires ont fortement chuté en 2019, elles ont rebondi de 23 % en 2020. « Sur les 10 dernières années, elles sont restées à des niveaux élevés », a reconnu le gouvernement.

Dès 2008, le plan gouvernemental Ecophyto visait à réduire de moitié l’utilisation des pesticides en dix ans tout en maintenant une agriculture compétitive. S’en est suivi un report de l’échéance à 2025 dans le cadre d’Ecophyto II, puis II+.

Pour y parvenir, la France entend « renforcer la diffusion des principes de la protection intégrée des cultures ».

Mais pour François Veillerette, porte-parole de l’ONG Générations futures, « l’Etat ne propose pas de leviers » pour généraliser l’IPM, « à part peut-être la redevance sur les pollutions diffuses, mais ce n’est guère dissuasif ».

Cette redevance sur les pollutions diffuses, ajustée en fonction de la toxicité et de la dangerosité des substances utilisées, a été mise en place pour inciter les agriculteurs à utiliser des produits moins polluants et à éliminer ou réduire leur utilisation en mettant en place des pratiques plus respectueuses de l’environnement.

En 2020, la Cour des comptes française a critiqué le gouvernement pour ne pas avoir mis en œuvre sa stratégie.

Rappelant l’engagement du gouvernement à « encourager le recours à la lutte intégrée et aux méthodes ou techniques alternatives », la cour des comptes a déclaré : « Dix ans plus tard, les objectifs fixés n’ont pas été atteints ».

Il en va de même au niveau de l’UE.

Si l’application des principes IPM est déjà prévue dans la directive européenne de 2009 sur l’utilisation des pesticides, les initiatives en la matière tardent à se concrétiser et les mesures d’accompagnement font largement défaut, selon la Cour des comptes européenne.

Plus inclusif que le bio

Selon les partisans de l’IPM, l’approche est plus inclusive que l’agriculture biologique et garantit des réductions significatives de l’utilisation des produits phytosanitaires.

La position de l’IPM sur la limitation de l’utilisation des pesticides est plus dure que ce qui est proposé par d’autres pratiques agricoles durables telles que l’agriculture de conservation, l’agriculture de précision et celles promues dans la certification Haute Valeur Environnementale (HVE) du gouvernement français.

« Pour être efficace, différentes techniques sont combinées. Les produits phytosanitaires doivent être le dernier recours, seulement après avoir tout exploré », a déclaré à EURACTIV Bertrand Omon, agronome à la Chambre d’agriculture de Normandie et encadrant d’un groupe de dix agriculteurs du réseau DEPHY.

A partir des années 2010, certains agriculteurs ont adopté cette démarche sans respecter les normes de l’agriculture biologique. C’est le cas du réseau DEPHY, qui compte aujourd’hui 3 000 exploitations de toutes filières, dont la viticulture, l’arboriculture et la production maraîchère.

Leur objectif est de diviser par deux l’utilisation des produits phytosanitaires, un objectif repris depuis 2007 dans plusieurs plans gouvernementaux dits Ecophyto.

Les fermes DEPHY en Normandie, surveillées depuis 15 ans, présentent des indicateurs positifs pour la biodiversité et la santé humaine, avec beaucoup moins d’utilisation de pesticides, a indiqué Omon. En 2010, 12 exploitations ont réussi à réduire de moitié l’utilisation des pesticides, tandis que 12 autres n’y sont pas parvenues. Aujourd’hui, 13 fermes ont géré et 11 non.

A l’échelle nationale, sur 694 systèmes, l’Indicateur de Fréquence de Traitement (IFT) des exploitations du réseau DEPHY a diminué de 19% en grandes cultures entre 2017 et 2019.

Qu’y a-t-il derrière cet échec ?

Une étude récente menée par le Centre français de recherche agronomique (CIRAD) et l’Institut français de la recherche agronomique (INRA) a expliqué que ce qui a conduit à l’échec de l’IMP était le manque de termes clairs et de nombreuses définitions.

En particulier, cela peut conduire à des stratégies contradictoires, selon l’étude – qui a analysé 400 études sur la protection intégrée.

Les auteurs de l’étude appellent ainsi à ce que l’agroécologie reprenne le « vieux » concept de LAI, afin de « remettre les principes de l’écologie au cœur de la protection des cultures ».

Omon, cependant, n’était pas d’accord sur le fait que l’agroécologie rende les choses plus faciles.

S’il s’agit d’un concept « inspirant », il a également conduit à un assouplissement des « concepts agronomiques éprouvés » et à moins d’objectifs tangibles.

« Chacun a fait son truc et tout le monde prétend être agroécologiste », a averti Omon.

Pourtant, la protection intégrée semble être bonne pour l’économie : les pratiques IPM réduisent les rendements mais pas la rentabilité de l’exploitation, et même augmentent la plupart du temps, selon un rapport détaillé de l’INRA rédigé en 2009.

En effet, les dépenses, réduites en raison de la baisse des pesticides, sont répercutées sur les bénéfices.

« Il n’y a pas de manque à gagner », confirme Omon après 15 ans de surveillance des cultures dans l’Eure.

Cependant, malgré des succès locaux, les initiatives du réseau DEPHY peinent à percer le plafond de verre de la « massification ».

Omon a reconnu les difficultés de généraliser la protection intégrée.

Selon lui, il est de plus en plus difficile pour les agriculteurs de rester dans ce système qui continue malgré tout d’encourager l’usage des pesticides.

« Ils s’accrochent pour des raisons sociales, d’engagement personnel, de relation au groupe, mais il est très difficile de s’opposer à la l’air du temps et une norme socioprofessionnelle dominante. Ils se voient comme de minuscules îles au milieu d’un océan. Cela demande beaucoup d’énergie », a-t-il conclu.

[Edited by Gerardo Fortuna/Zoran Radosavljevic]





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