La radicalisation de Michel Houellebecq


Michel Houellebecq, le bad boy littéraire préféré des Français, est-il devenu l’apologiste du terrorisme d’extrême droite ?

Dans une interview accordée à un périodique spécialisé à la fin de l’année dernière, Houellebecq avait prédit que les Français « de souche » prendraient bientôt les armes et commettraient des « actes de résistance » contre les musulmans dans les zones « sous contrôle islamique ».

« Il y aura des attentats à la bombe et des fusillades dans les mosquées, dans les cafés fréquentés par les musulmans. En d’autres termes, inversez les Bataclans », a-t-il déclaré, faisant référence à la salle de concert parisienne où des terroristes de l’Etat islamique ont assassiné des dizaines de personnes le 13 novembre 2015.

Même selon les normes provocatrices de Houellebecq, la déclaration a innové. Allant bien au-delà de sa critique habituelle de la religion – sa première grande controverse a eu lieu lorsqu’il a qualifié l’islam de «la religion la plus stupide» en 2001 – le commentaire des «actes de résistance» semblait offrir un signe de tête de soutien aux actes de violence contre les musulmans.

La réaction en France a été rapide et généralisée. En plus de plusieurs organisations musulmanes annonçant qu’elles allaient poursuivre Houellebecq pour incitation à la haine raciale, le ministre de la Justice Eric Dupond-Moretti est sorti pour dire que ses propos étaient « inacceptables » car ils « créaient la haine » et « allaient à l’encontre de ses valeurs ».

Même le président du parti d’extrême droite du Front national de Marine Le Pen, Jordan Bardella, a refusé de défendre Houellebecq, qualifiant ses commentaires d' »excessifs » – tandis que Caroline Fourest, une intellectuelle publique qui avait précédemment défendu le droit de Houellebecq à critiquer la religion en vertu de la loi française, a rompu avec lui sur la boutade « actes de résistance », soulignant que de tels actes avaient déjà eu lieu.

En effet, au cours des 25 années écoulées depuis que Houellebecq a fait irruption sur la scène littéraire avec son roman de 1998 « Particules élémentaires », l’idéologie violente d’extrême droite a prospéré à travers l’Occident, inspirant des complots et des actes de terrorisme bien réels. En 2019, Brenton Tarrant a commis un massacre de fidèles musulmans à Christchurch, en Nouvelle-Zélande, tuant 51 personnes lors d’une attaque diffusée en direct sur Facebook. Cette semaine, le procès d’un groupe d’extrême droite accusé d’avoir comploté pour assassiner le président français Emmanuel Macron s’est ouvert à Paris.

« Pouvez-vous parler de résistance quand vous parlez d’attaques racistes ? a écrit Fourest dans un article de blog. « Pour une fois, la plainte de la Grande Mosquée de Paris semble raisonnable. » (Le chef de la Grande Mosquée ou, grande mosquée, a retiré sa menace de poursuivre Houellebecq après une réunion avec l’auteur, mais d’autres organisations ont maintenu leurs plaintes.)

La question pour beaucoup de gens qui ont lu les livres de Houellebecq sera : croit-il vraiment que les actes de violence contre les musulmans équivalent à des « actes de résistance » ? Et plus largement, doit-il faire face à des conséquences – ou les commentaires doivent-ils être considérés comme une forme de licence artistique, les déclarations d’un maître créatif qui a le droit d’avoir des opinions, aussi extrêmes soient-elles, sur le monde ? Enfin, la tolérance de la France pour une telle licence artistique – sa résistance à la « culture d’annulation » américaine – a-t-elle échoué dans le cas de Houellebecq ?

Pendant des décennies, l’ancien fonctionnaire a occupé une position unique dans la société française en tant que « grand écrivain” — l’un des auteurs prééminents du pays avec une renommée internationale. Récompensé du prestigieux prix littéraire Goncourt, Houellebecq jouit de la considération accordée autrefois aux poètes lauréats et aux grands écrivains des autres pays.

Lorsqu’il fait surface, tous les quelques mois, pour écrire un article ou accorder une interview, ses déclarations font presque toujours l’actualité. En 2020, lorsque la France a été confinée en raison de la pandémie de COVID-19, Houellebecq est apparu pour déclarer que – contrairement à ce que beaucoup de gens disaient – ​​tout serait « exactement pareil » après la pandémie, à peine pire.

Ce genre de cynisme impassible, ce que beaucoup considéreraient comme un antidote à l’idéalisme américain, lui a valu une suite dans le monde entier. La principale compétence de Houellebecq en tant qu’écrivain était de se présenter comme un homme ordinaire, un Français moyen qui partage la médiocrité de leur existence et qui se trouve être un écrivain. « Tout peut arriver dans la vie, surtout rien », a-t-il plaisanté dans son roman « Plate-forme » de 2001 – un Houellebecqisme classique.

Mais au cours de la dernière décennie, les romans de Houellebecq ont pris une tournure politique de plus en plus réaliste. Son livre « Soumission » de 2015 imagine un parti islamique prenant le pouvoir en France suite à des actes de terrorisme intérieur. S’il y avait le moindre doute sur la façon dont l’auteur envisage une telle perspective, il les a dissipés dans de nombreuses interviews, doublant le contenu anti-islamique de ses livres.

Pourtant, à travers tout le tumulte, à propos de ses commentaires anti-islam ou de son éloge du tourisme sexuel, l’auteur n’a jamais fait face à un tollé majeur de la part de l’establishment littéraire français, ou à quoi que ce soit ressemblant à une « annulation ».

L’entretien en Front populaire, dirigée par l’intellectuel émeutier Michel Onfray, marquait un nouveau point culminant pour Houellebecq. Au-delà des commentaires sur la terreur anti-islamique, l’auteur a commenté la théorie du complot du Grand Remplacement – selon laquelle les musulmans déplacent les Blancs en Occident – pour dire que ce n’est « pas une théorie, mais un fait ».

Il ajoute : « Notre seul espoir de survie serait que la suprématie blanche devienne ‘tendance’ aux États-Unis. »

Dans la foulée de son entretien, Houellebecq a fait une chose inhabituelle : il a tenté de limiter les dégâts. Après une rencontre avec le recteur de la Grande Mosquée de Paris, qui l’avait menacé de le poursuivre en justice pour ces propos, l’auteur a déclaré qu’il allait « clarifier » ses propos.

Mais les changements, publiés par le magazine Le Point, laissent intacte sa ligne « actes de résistance ». Au lieu de cela, Houellebecq tente de formuler tout le paragraphe en termes plus hypothétiques et ajoute une phrase pour dire que ces zones « sous contrôle islamique » ne sont pas actuellement une réalité, car la police est toujours en mesure de pénétrer dans les quartiers à forte densité d’immigrants.

C’est loin d’être un changement d’avis ou des excuses. Le monde littéraire français, qui n’a pas dénoncé les actes de pédophilie connus de l’écrivain Gabriel Matzneff, est jusqu’à présent resté largement silencieux sur l’affaire.

En plus ça change.

Les questions de POLITICO aux éditeurs de Houellebecq en France et aux États-Unis n’ont pas encore reçu de réponse.

CORRIGÉ : Cette pièce a été corrigée pour préciser que Houellebecq a remporté le Prix Goncourt une fois et que la fusillade de Christchurch a eu lieu en 2019.





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