L’avortement sous le feu des projecteurs au Maroc conservateur


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Rabat (AFP)- Le débat sur le droit à l’avortement a éclaté au Maroc après la mort d’une adolescente à la suite d’un avortement à risque, mais les tabous sociaux continuent de bloquer les réformes.

« Si je défendais le droit à l’avortement devant mes frères, je risquerais ma vie », a déclaré Leila, une étudiante de 21 ans, ajoutant qu’elle vient d’une famille relativement « moderne ».

En septembre, une jeune de 14 ans identifiée comme Meriem est décédée à la suite d’une procédure dangereuse dans un village rural du centre du pays.

Le royaume conservateur d’Afrique du Nord, qui criminalise l’avortement, a depuis vu des appels croissants à la réforme des droits reproductifs des femmes, bien que les attitudes sociales omniprésentes et le manque de volonté politique continuent de bloquer le changement.

« Si je disais le mot ‘avortement’ dans ma famille, je serais accusée et rejetée, même par mes parents », a déclaré Amal, 22 ans, étudiante à l’université de Rabat.

« La loi qui tue »

À moins qu’une grossesse ne mette en danger la santé d’une femme, les femmes marocaines qui subissent un avortement risquent jusqu’à deux ans de prison, tandis que celles qui les assistent risquent cinq ans d’emprisonnement.

Les organisations locales affirment que malgré les lourdes sanctions, entre 600 et 800 femmes se font avorter chaque jour dans ce pays de 38 millions d’habitants, dont beaucoup dans des conditions dangereuses et insalubres.

Des militants lors d’une manifestation en septembre au Maroc appellent à une réforme du droit à l’avortement après la mort d’une jeune fille de 14 ans à la suite d’un avortement clandestin FADEL SÉNÉ AFP

Celle de Meriem a été menée « au domicile d’un jeune homme qui exploitait sexuellement la victime », a indiqué la coalition féministe marocaine Printemps de la Dignité.

Sa mort est survenue sept ans après qu’une commission royale a recommandé de dépénaliser la procédure dans « certains cas » comme le viol, l’inceste, la malformation fœtale ou si la mère est handicapée mentale.

Mais le rapport n’a « rien changé », selon le gynécologue Chafik Chraibi, militant pour la légalisation.

« Il n’y a que le silence, le sujet n’est pas prioritaire », a-t-il déclaré à l’AFP.

Chraibi, la fondatrice de l’Association marocaine contre l’avortement clandestin, affirme qu’un manque de volonté politique bloque toute modification d’une loi « archaïque » qui remonte à 1963.

Un projet de loi modifiant la législation a été présenté deux fois au parlement avant d’être retiré sans aucune explication officielle.

Des dizaines de militants des droits se sont rassemblés devant le parlement fin septembre pour exiger des changements à la « loi qui tue ».

Le Maroc a vu de plus en plus d'appels à la réforme des droits reproductifs des femmes, mais des attitudes sociales omniprésentes continuent de bloquer le changement
Le Maroc a vu de plus en plus d’appels à la réforme des droits reproductifs des femmes, mais des attitudes sociales omniprésentes continuent de bloquer le changement – AFP/Dossier

Le ministre de la Famille, Aawatif Hayar, a déclaré au Parlement le mois dernier que le gouvernement s’intéressait « sérieusement » à la modification du code pénal.

Mais tout changement doit « respecter la loi islamique et être acceptable pour la société marocaine », a-t-elle déclaré.

Le militant Chraibi a déclaré que les autorités religieuses et le conservatisme marocain bloquaient les mouvements vers la dépénalisation – mais a ajouté que rien dans la loi islamique n’interdit explicitement cette pratique.

« Violences judiciaires et sociales »

Le Maroc est loin d’être une exception dans le monde arabe.

Le seul État d’Afrique du Nord à autoriser les femmes à choisir l’avortement est la Tunisie, dont le premier président après l’indépendance, Habib Bourguiba, a légalisé la pratique en 1973, deux ans plus tôt que l’ancienne puissance coloniale, la France.

Mais il y a peu de débat national sur le sujet, et la plupart des femmes qui subissent la procédure la gardent secrète.

Une loi algérienne de 2018 prévoit « l’interruption thérapeutique de grossesse », mais les groupes de défense des droits notent que cela nécessite l’approbation d’une commission médicale et est limité aux cas de danger mortel pour la mère ou si le bébé est susceptible d’être gravement handicapé.

Sinon, l’Algérie peut imposer une peine de deux ans de prison aux femmes qui se font avorter, tandis que les médecins qui facilitent les avortements risquent cinq ans.

La Libye criminalise également les avortements sauf lorsqu’il y a danger de mort pour la mère et impose de longues peines de prison à ceux qui les pratiquent.

Les peines sont souvent réduites dans les cas où la procédure est entreprise pour préserver « l’honneur » de la famille. Les femmes libyennes qui en ont les moyens se font souvent avorter à l’étranger.

La militante marocaine Faouzia Yassine affirme que les lois du royaume sont une forme de « violence judiciaire et sociale contre les femmes ».

Elle a appelé à une « réforme de fond en comble du code pénal » et à sa mise en conformité avec « les conventions internationales que le Maroc a ratifiées ».

« La criminalisation des avortements signifie restreindre la liberté d’une femme de contrôler son corps et montre un désir de la contraindre à garder un fœtus contre sa volonté », a-t-elle déclaré.



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