Enquête sur l’apatridie à Chypre
Chypre a connu une histoire tumultueuse depuis plus d’un demi-siècle. En 1974, cette petite île méditerranéenne a été divisée en deux, une partie grecque et une partie turque, après l’invasion du nord par la Turquie. Chacune de ces deux parties dispose d’un système politique distinct, avec des droits de citoyenneté différents. L’héritage de cette occupation continue de peser sur des milliers de personnes qui mènent des vies transfrontalières. Umit, un ingénieur en électronique âgé de 44 ans, dirige sa propre entreprise dans la capitale chypriote divisée de Nicosie, du côté turc de la ligne verte. Son histoire commence en 1975, lorsque son père est venu dans le nord de Chypre depuis la Turquie et a rencontré sa mère, qui est citoyenne chypriote. Marié pendant une courte période, le couple s’est séparé quand Umit avait à peine un an. Bien qu’il soit né et ait grandi sur l’île et que sa mère soit une citoyenne chypriote, Umit est considéré comme un apatride au niveau international.
Le document d’identité qu’il a obtenu de la République turque de Chypre du Nord (RTCN) n’est reconnu par aucun État autre que la Turquie. En 2006, il a demandé la citoyenneté aux autorités chypriotes, mais 17 ans plus tard, il n’a toujours pas reçu de réponse officielle quant à la raison pour laquelle il ne peut pas l’obtenir. « Je suis allé au ministère tous les six mois pour savoir ce qui se passait avec ma candidature, mais je n’ai jamais reçu de réponse », explique-t-il. Après avoir compris qu’il ne recevrait jamais de réponse à sa demande, il a porté l’affaire devant les tribunaux. Le père de deux enfants n’est pas prêt à abandonner, surtout maintenant que ses problèmes de citoyenneté sont devenus un problème générationnel. Ses deux enfants n’ont pas non plus pu obtenir la nationalité chypriote, bien que leur mère chypriote turque possède la nationalité chypriote. « Ils peuvent retarder ma demande parce que mon père est un citoyen turc, mais qu’en est-il de mon fils de 11 ans et de ma fille de 9 ans ? » demande Umit. « Moi et mon partenaire, nous sommes tous deux originaires de l’île, nous sommes nés ici, nous détenons tous deux des certificats de naissance des autorités chypriotes et en plus, je ne suis même pas citoyen turc. » Il ajoute également : « J’ai essayé de devenir citoyen turc après avoir perdu espoir chez moi, je n’avais pas d’autre choix mais selon les archives officielles turques, je n’existe pas ».
Une question complexe
Le professeur de droit et doyen de la faculté de droit de l’Université de Nicosie, Achilles C. Emilianides, explique que le problème de l’apatridie découle de la situation complexe souvent appelée le « problème de Chypre ». « La Turquie a envahi et occupe depuis la partie nord de l’île en 1974, et en 1983, elle a déclaré la zone occupée comme « République turque de Chypre du Nord », une entité qui n’est pas reconnue internationalement (à l’exception de la Turquie) », explique-t-il. « La République de Chypre accuse régulièrement la Turquie de tenter de modifier la structure démographique de la zone occupée en implantant des colons de la Turquie continentale », ajoute le professeur Emilianides. « Compte tenu de cela, la République de Chypre soutient que l’éventuelle légalisation des colons turcs modifierait non seulement la structure démographique de l’île et constituerait une source constante de tension, mais menacerait également davantage la stabilité et la sécurité de la République, un point de vue adopté également par le Conseil de l’Europe ». Selon le professeur Emilianides, le gouvernement de la République de Chypre ne prend pas ses décisions facilement, car les zones où les mariages sont célébrés ne sont pas sous son contrôle et « il ne dispose souvent pas de données suffisantes pour confirmer s’il s’agit d’un cas de colonie illégale ou non ».
Les ressortissants turcs peuvent visiter l’île par les frontières nord contrôlées par la RTCN et la République de Chypre considère toute personne entrant sur l’île par ces frontières comme « illégale ». Les militants qui aident ceux qui intentent une action en justice contre la République de Chypre soutiennent que chaque enfant a droit à une nationalité et que les pratiques actuelles violent les droits de l’homme. L’Union européenne considère l’ensemble de l’île comme faisant partie de l’UE, mais les militants se demandent alors pourquoi les valeurs européennes ne sont-elles pas respectées ? Certains militants, à l’origine d’une initiative appelée les « Uncredentialeds », recueillent désormais des signatures pour déposer une pétition auprès de la commission des pétitions du Parlement européen. Selon des chiffres non officiels, environ 30 000 personnes ont été directement ou indirectement touchées par les retards dans la finalisation des demandes de citoyenneté.
L’amour ne connaît pas d’identité
Certains nés de mariages mixtes sont maintenant des adultes dans la trentaine et la quarantaine et n’ont que deux options pour obtenir un passeport internationalement reconnu : de la Turquie ou de la République du Congo. Huri, un universitaire de 33 ans travaillant à l’Université des arts créatifs et du design d’Arkin, en fait partie. Elle raconte son histoire : « Mon rêve était d’étudier au Royaume-Uni, mais je n’ai pas reçu de réponse rapide des autorités à ma demande de citoyenneté… ». Les Uncredentialeds poursuivront leur campagne tout au long du mois de mars et prévoient de déposer leur pétition à la fin du mois. John, l’un des membres du groupe, explique : « Nous ne voulons pas de faveurs du gouvernement. Nous n’avons aucune affiliation politique ni aucun intérêt politique. Nous voulons simplement exercer notre droit constitutionnel, qui stipule clairement que tout enfant d’un parent citoyen chypriote a droit à la citoyenneté chypriote ».
En résumé, l’apatridie est un grave problème pour les personnes nées de mariages mixtes à Ch
Source link -57