Revue Objects of Desire – téléphones à homard surréalistes et sleazorama en bord de mer | Art et désign


Je Design Museum devra peut-être garder un œil sur les actes inadaptés sur tous les meubles érotiques dans son exposition souvent délirante de design pervers. Peut-être devraient-ils mettre une pancarte : « Pas de sexe sur les canapés, s’il vous plaît ! »

Objects of Desire explore l’influence du mouvement surréaliste sur les intérieurs et la mode modernes. C’est une célébration du design qui a mal tourné : au lieu d’une fonctionnalité rationnelle, les créations ici infiltrent l’irrationnel dans le pratique, s’attaquant à la réalité au nom du rêve. Un lampadaire en forme de cheval grandeur nature, une chaise douillette faite de peluches, et surtout ces canapés lubriques, tout en courbes, en velours et en cuir, font de cette exposition une délicieuse orgie de mauvais goût.

Il commence par vous faire découvrir deux clichés de l’art moderne : le Lobster Telephone de Salvador Dalí et le canapé Mae West Lips, tous deux créés en 1938 en collaboration avec son mécène anglais Edward James. Alors qu’ils se prélassent sous un projecteur lumineux qui fait ressortir la tension et la plénitude de cette bouche rouge géante d’un canapé, nous sommes encouragés à les voir non seulement comme des sculptures scandaleuses, mais comme de véritables meubles. James a commandé pas moins de 11 téléphones Lobster fonctionnels à Dalí pour sa maison de Londres.

Canapé Lips de Mae West, vers 1938, Salvador Dalí et Edward James.
Un regard neuf sur les clichés de l’art moderne… Le canapé Lips de Mae West, vers 1938, Salvador Dalí et Edward James. Photographie : James Pike/© Salvador Dalí, Fundació Gala- Salvador Dalí, DACS 2022

Les meubles oniriques de Dalí sont l’expression par excellence des idéaux utopiques du mouvement surréaliste né à Paris après la première guerre mondiale. C’était une tentative révolutionnaire de détruire l’ordre social bourgeois en libérant le pouvoir obsessionnel et compulsif des rêves dans la vie quotidienne. Alors que Dalí est traditionnellement considéré comme un traître au mouvement, il apparaît ici comme l’un des grands créateurs du monde moderne parce qu’il a projeté son esthétique dans la mode, le cinéma et les vitrines.

Il y a des photos vraiment choquantes de son pays des merveilles du parc à thème, The Dream of Venus, un pavillon qu’il a conçu à l’Exposition universelle de New York en 1939. Des mannequins en tenue de bondage s’ébattent dans un sleazorama en bord de mer qui, aujourd’hui encore, a l’air provocateur et hardcore. Pourtant, c’est aussi un hommage au premier et au plus grand architecte surréaliste de tous, Antoni Gaudí, dont les bâtiments à Barcelone sont des triomphes de l’imagination sur la normalité.

Il pourrait y avoir plus sur Gaudí ici, et en effet, sur le mouvement art nouveau plus large, qui a apporté une décadence consciente au design de la fin du XIXe siècle. Ce que le spectacle a, c’est une chaise conçue par Gaudí en 1900 dont les courbes en bois sculpté, vernis et poli pour un éclat nacré, comprennent des pieds organiques, des renflements de globe oculaire, un dossier en forme de cœur et des bras prêts à vous envelopper et à vous étreindre. Ce ne serait probablement pas très confortable, mais cela exprime le rêve d’une chaise qui aime vraiment son propriétaire.

Tournée, 1993, de Gae Aulenti, pour FontanaArte.
Une chose sans âme… Tour, 1993, de Gae Aulenti, pour FontanaArte. Photographie : Vitra Design Museum

Ce même enchantement de conte de fées prend ici des formes très bizarres. Le fer à clous cloutés de Man Ray est un autre objet trop connu sous le nom de sculpture – mais dans ce contexte, vous êtes frappé par son attaque contre les tâches domestiques et leurs hiérarchies, au nom de la déraison. Le porte-bouteilles de 1914 de Marcel Duchamp est un autre chef-d’œuvre de l’obsession surréaliste : qu’est-ce qui a poussé Duchamp à exposer cet objet métallique pointu comme de l’art ? Possède est le mot juste, car il ne l’a pas choisi, mais il l’a choisi. Il en est de même d’une « chausson-cuillère », une curieuse cuillère en bois avec une chaussure sculptée sur son manche qu’André Breton a trouvée dans une brocante parisienne : elle l’obsédait et il a fait prendre à Man Ray la photo qui est exposée ici.

La relation du surréalisme avec le monde des choses n’a jamais semblé plus particulière. Il y a une magie intense et dérangée dans la manière totalement décomplexée dont ces poètes et pervers ont fétichisé le monde matériel. La photographie de Man Ray de l’artiste surréaliste Meret Oppenheim la montre nue devant une roue industrielle géante avec de l’encre noire maculée sur sa main et son bras. C’est une image d’elle en tant que créatrice, l’artiste dans une imprimerie, qui est aussi joyeusement érotique que sa propre sculpture d’une tasse à fourrure (malheureusement absente).

Mobilier pour l'appartement d'un oligarque… Horse Lamp, 2006, Front Design.
Mobilier pour l’appartement d’un oligarque… Horse Lamp, 2006, Front Design. Photographie : Vitra Design Museum

L’exposition soutient que le surréalisme s’est imposé à l’ère postmoderne, lorsque les designers s’amusent à nouveau librement avec la forme et l’imagerie. Mais les expositions prouvent le contraire. A côté de ces visions surréalistes obsessionnelles se trouve une table en verre montée sur roues de vélo par Gae Aulenti en 1993. C’est un hommage à Duchamp, dit la maison. Mais c’est une chose sans âme. Il en va de même pour bon nombre des objets les plus récents de l’exposition. Cette Horse Lamp 2006 de Front Design n’est vraiment qu’un meuble grotesquement ostentatoire pour le penthouse d’un oligarque.

Ces conceptions contemporaines ne sont pas du tout à la hauteur du surréalisme. C’est parce qu’ils ne semblent pas du tout obsessionnels. Le postmodernisme est ironique, ludique, volontaire – mais le surréalisme n’était rien de tout cela. Lorsque Claude Cahun se photographie sous des apparences sexistes, cela ne semble pas être un choix ou une déclaration, mais une nécessité intérieure.

Cela peut faire sonner cette exposition comme un échec. Au contraire : il vous fait voir avec une grande clarté à quel point ce mouvement était vraiment extrême et extraordinaire, et à quel point il était difficile de le retrouver. Voir ces bijoux d’ivresse surréaliste à côté des accessoires de mode Galliano et des vidéos de Björk prouve que le surréalisme, tragiquement, est mort. Il est aussi mort que le cubisme – et aussi glorieux. C’était un mouvement moderniste, après tout : pas le père de l’espièglerie d’aujourd’hui mais quelque chose d’infiniment plus sérieux et révolutionnaire.



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