Un documentaire intitulé *Chasing Roo*, réalisé par Skye Fitzgerald, met en lumière la chasse massive des kangourous en Australie, qui entraîne la mort de millions d’animaux, y compris des femelles avec des joeys. Fitzgerald explore la complexité de cette pratique, où les chasseurs, malgré leur admiration pour les kangourous, dépendent de leur abattage pour survivre. Le film interroge notre rapport à la consommation animale et soulève des questions éthiques sur la durabilité et la perception des kangourous comme nuisibles.
La chasse des kangourous : un documentaire révélateur
Quand la nuit s’installe dans l’Outback australien, une chasse implacable débute.
La cible de cette chasse : des kangourous errants qui sautent à travers la nature. Les tirs résonnent, tuant des millions d’entre eux, dont des centaines de milliers de femelles, certaines portant encore leurs petits joeys. Ce phénomène troublant est le sujet principal du documentaire primé Chasing Roo, réalisé par Skye Fitzgerald, qui a déjà été nommé deux fois aux Oscars pour ses œuvres Hunger Ward et Lifeboat.
« Mon objectif était d’explorer l’idée de notre supériorité sur les animaux à une échelle massive », explique Fitzgerald. « Quel meilleur moyen d’illustrer cela qu’à travers le kangourou, symbole emblématique de l’Australie ? En découvrant que l’abattage des kangourous représente le plus grand abattage commercial d’un animal terrestre au monde, j’ai su que c’était la voie idéale pour raconter cette histoire. »
Une réalité complexe et nuancée
Le film débute avec une scène poignante à l’intérieur d’un camion sombre, où des kangourous morts sont suspendus par des crochets.
« Cette image provient de l’endroit où les kangourous sont chargés à la fin d’une chasse, puis conservés dans une chambre froide pendant une semaine avant d’être transportés vers l’abattoir », partage Fitzgerald. « C’est un événement hebdomadaire que nous avons observé — le transfert des carcasses de la chambre froide au camion. C’est une expérience saisissante. »
La viande de kangourou est transformée en nourriture pour animaux de compagnie, et leurs peaux servent à fabriquer divers articles en cuir tels que vestes, sacs, chapeaux, gants et même chaussures de football. Pour les consommateurs, elle est disponible sous forme de steaks, de viande hachée et de saucisses, connues sous le nom de « kanga bangas ».
« Lorsque l’on voit le processus de commercialisation de la viande, la distance entre un produit emballé en supermarché et son origine se réduit considérablement, nous amenant à réfléchir profondément sur notre rapport à d’autres créatures de cette planète », souligne le réalisateur. « Quel droit avons-nous de consommer le corps d’un autre être vivant ? Bien que nous possédions ces mains et ce cerveau, je souhaitais aborder cette question de manière implicite dans le film. »
Fitzgerald, qui a été végétarien à différentes périodes de sa vie, aborde néanmoins le sujet sans adopter de position dogmatique.
« Un de mes objectifs était de créer une narration qui favorise l’empathie tant pour les victimes que pour les chasseurs », précise-t-il. « Il était crucial de ne pas diaboliser immédiatement les protagonistes, car la situation est bien plus complexe. »
Le documentaire suit également des sauveteurs au Western QLD Wildlife Rehabilitation qui prennent soin des joeys orphelins et des wallabies, tout en mettant en lumière un père, David « Cujo » Coulton, et son fils Darby, qui chassent des kangourous et des cochons sauvages près de la petite ville d’Aramac, Queensland, un endroit poussiéreux d’environ 200 habitants où les opportunités économiques sont limitées.
« Mon intention était d’explorer la dissonance cognitive liée à la chasse des kangourous », explique Fitzgerald. « Cujo, le tireur principal, admire le kangourou — il l’a affirmé à plusieurs reprises. Il a même un tatouage de kangourou sur son torse et considère cet animal comme essentiel pour subvenir aux besoins de sa famille, tout en tuant des centaines d’entre eux chaque année. »
Fitzgerald ajoute : « Ces réalités concurrentes des communautés économiquement défavorisées qui dépendent de la chasse pour leur survie coexistent avec celles de ceux qui prennent soin des animaux orphelins. Les deux perspectives sont valables et authentiques. J’ai voulu que cette dissonance soit présente dans le film sans offrir de solution facile au public. »
D’après le ministère australien du Changement climatique, de l’Énergie, de l’Environnement et de l’Eau, la population de kangourous en 2024 était estimée à 35,3 millions, avec un quota d’abattage autorisé de près de 5 millions — représentant 14 % de la population totale. Bien que le gouvernement qualifie cette chasse de « durable », la question de la véracité de cette évaluation et des intérêts d’élevage reste débattue.
« Le gouvernement se trouve dans une position délicate. Les éleveurs, qui possèdent la majorité des terres et élèvent des moutons et des vaches, ont développé un discours puissant, qualifiant les kangourous de ‘nuisibles’, une assertion que l’on entend souvent », remarque Fitzgerald. « Ils ont convaincu le gouvernement que les kangourous représentent une menace pour leurs ressources, car ces derniers rivalisent pour l’herbe et l’eau, alors que les moutons et les vaches, qui ne sont même pas des espèces indigènes, sont plus rentables. Cette rhétorique a été ancrée dans le discours politique au fil du temps. »
La question éthique entourant l’abattage massif des kangourous s’étend au-delà des frontières australiennes, touchant également les pays qui importent des produits dérivés, y compris les États-Unis. En 2021, le Congrès américain a rejeté le Kangaroo Protection Act, qui aurait interdit la vente et l’importation de tels produits.