Dans « La Tour de Glace », une jeune orpheline, Jeanne, s’échappe dans le monde d’un tournage de film, attirée par la star Cristina Van Der Berg, interprétée par Marion Cotillard. La réalisatrice Lucile Hadžihalilović explore des thèmes d’innocence et de célébrité, tout en créant une atmosphère hypnotique. Le récit, ancré dans les années 70, soulève des questions sur la fascination du cinéma et la réflexion sur soi-même, tout en maintenant une tension palpable à travers des éléments visuels et sonores captivants.
Un Voyage dans l’Univers de « La Tour de Glace »
Un plateau de tournage n’est pas un endroit pour les petites filles. Dans le monde énigmatique et sombre de la fantaisie de Lucile Hadžihalilović, « La Tour de Glace », une jeune orpheline s’échappe de son foyer d’accueil et trouve refuge dans le sous-sol d’un studio de cinéma. Elle est attirée par la production et son étoile, interprétée par Marion Cotillard, comme une enfant pourrait l’être par une sorcière dans un conte d’Andersen. Il est fascinant que le film en tournage soit « La Reine des Neiges », dont certains éléments résonnent à travers les multiples couches du récit, une œuvre que Hadžihalilović espère nous piéger dans son prisme cristallin.
La Collaboration entre Cotillard et Hadžihalilović
Cotillard et Hadžihalilović ont déjà collaboré au début de leurs carrières respectives sur « Innocence » en 2004, où la réalisatrice a posé les bases des thèmes troublants qu’elle explore encore aujourd’hui : une représentation artistique de l’enfance à travers des rituels étranges que seuls les adultes semblent comprendre. Dans « Évolution », des garçons sont préparés à la paternité, tandis que dans « Earwig », un gardien inquiétant place des prothèses dentaires glacées dans la bouche d’une jeune fille, sur instruction d’un sponsor mystérieux.
« La Tour de Glace » s’éloigne légèrement de cette formule habituelle. Nous rencontrons Jeanne (Clara Pacini) juste avant sa fuite, et c’est à elle de décider comment utiliser sa liberté nouvellement acquise. Jusqu’à présent, elle a vécu dans une cabane bondée dans les Alpes, éloignée des influences de la culture pop. Pour Jeanne, la célébrité est aussi séduisante que la royauté, un concept qu’elle doit comprendre d’une manière ou d’une autre.
Bien qu’elle connaisse « La Reine des Neiges » sur le bout des doigts, a-t-elle déjà vu un film ? Son innocence l’émerveille-t-elle lorsqu’elle rencontre Cristina Van Der Berg (incarnée par Cotillard avec une aura austère à la Marlene Dietrich), ou son ignorance réduit-elle la distance entre elles ? Hadžihalilović choisit de ne pas approfondir l’éducation de Jeanne, laissant le spectateur se demander si elle est attirée par la lumière du projecteur ou si elle est simplement tombée par hasard sur cette forme moderne de magie.
Il est fascinant d’imaginer le cinéma exerçant une telle fascination sur une enfant qui pourrait être une version plus jeune de la réalisatrice elle-même. Notamment, le directeur de « La Reine des Neiges » est joué par le mari de Hadžihalilović, Gaspar Noé. Étant donné que l’histoire se déroule dans les années 70, une époque où certains réalisateurs cherchaient à séduire des mineurs, il aurait peut-être été plus logique que tout cela se déroule autour d’une pièce de théâtre en direct. Cependant, cela reflète le style hallucinatoire et sensoriel de la réalisatrice, où les associations prennent le pas sur les réponses explicites.
Interprétée par Pacini, Jeanne observe avidement son environnement avec des yeux qui semblent presque animaux. Son innocence est son plus grand atout, bien qu’elle soit suffisamment astucieuse pour naviguer dans des situations délicates. Elle sait éviter l’homme qui tente de l’aider à descendre de la montagne et comprend intuitivement ce qui se passe lorsque « un médecin » (August Diehl) entre pour administrer une injection à la star après une crise. Que contient cette seringue ? Cristina est-elle ce que l’on pourrait appeler une « drogueuse » ?
Sur le plan de la présence à l’écran, Cotillard est souvent synonyme de sensibilité, ce qui rend sa représentation d’un personnage froid et distant quelque peu surprenante. Cela contraste avec son énergie naturelle, mais c’est le choix de Hadžihalilović, dont les films évoquent une immersion psychique dans un monde troublant. Cristina incarne une beauté à la Eva Green ou Angelina Jolie, tandis que le sourire de Cotillard pourrait faire fondre cette façade glaciale. Elle s’engage pleinement dans ce rôle, culminant dans une finale troublante où Cristina tente d’influencer la jeune fille, voyant en elle une version plus jeune d’elle-même.
Hadžihalilović prolonge les scènes jusqu’à ce que le spectateur se sente presque anesthésié. Dans « Earwig », elle a plongé le public dans un état de quasi-sommeil avec un voyage en train monotone, et ici, la musique scintillante et les lumières chatoyantes hypnotisent le spectateur. Cela peut sembler ennuyeux, à moins que vous ne laissiez votre esprit s’engager à un niveau presque subconscient. C’est à ce moment-là que l’attention minutieuse portée à la cinématographie, aux décors, aux costumes et au design sonore transforme « La Tour de Glace » en une expérience onirique.
En somme, Hadžihalilović nous invite à réfléchir à nos propres reflets à travers cette œuvre fascinante, un diamant mort suspendu dans le temps.