Marcel Fratzscher, directeur de l’Institut allemand de recherche économique, souligne les défis économiques auxquels l’Allemagne est confrontée, notamment les tensions commerciales liées à Donald Trump. Il appelle à une introspection nationale et à une stratégie européenne unifiée pour faire face aux menaces, tout en avertissant que céder aux exigences américaines pourrait nuire à l’Europe. Fratzscher insiste sur l’importance d’un marché intérieur solide et d’investissements accrus pour soutenir l’économie allemande face à une éventuelle guerre commerciale.
Les défis économiques auxquels l’Allemagne fait face
Marcel Fratzscher, le directeur de l’Institut allemand de recherche économique (DIW Berlin), estime que l’Allemagne doit faire une introspection approfondie. Dans une récente interview, cet économiste de renom évoque les actions que le nouveau gouvernement fédéral devrait entreprendre alors que Donald Trump s’apprête à prendre ses fonctions pour un second mandat.
ntv.de : Lundi, Donald Trump sera réinvesti en tant que président des États-Unis. Quel est votre point de vue sur cette journée historique ?
Marcel Fratzscher : J’espère que Donald Trump ne mettra pas en œuvre toutes les menaces qu’il a proférées, qu’il s’agisse du Canada, du canal de Panama ou des tensions commerciales. Nous avons besoin d’un équilibre et d’une mesure. Il est impératif de se préparer, car l’Allemagne sera particulièrement touchée par les conflits économiques. Ce qui m’inquiète le plus, c’est que nous entrons dans une ère où la nation la plus influente du monde, dirigée par un homme puissant, a un agenda qui semble ignorer la coopération et le consensus.
Préparation de l’Allemagne face aux menaces économiques
Quelles sont les plus grandes menaces pour l’économie allemande ?
Les tensions commerciales et les droits de douane que Donald Trump a évoqués, pouvant atteindre 20 % ou plus, représentent une menace sérieuse. Sa volonté d’attirer les entreprises allemandes et européennes aux États-Unis pourrait frapper durement l’industrie, entraînant des pertes d’emplois significatives et des hausses de prix pour les consommateurs. Cela se traduirait par une inflation accrue et une diminution du pouvoir d’achat, touchant en particulier les ménages à faibles revenus.
En termes de préparation, comment l’Allemagne se positionne-t-elle actuellement ?
L’Allemagne n’est pas prête. Depuis au moins six mois, nous sommes en pleine introspection, concentrés sur nos propres préoccupations, sans réfléchir à notre position sur la scène mondiale ou à la manière de renforcer l’Europe. Il est crucial d’établir une protection minimale contre les mesures de Donald Trump. Je ne perçois aucune stratégie claire de la part du gouvernement fédéral ou de la Commission européenne pour répondre à cette menace. Au lieu de cela, il semble y avoir une fragmentation au sein de l’Europe, ce qui nous rend encore plus vulnérables en raison de notre dépendance à l’exportation.
Quelles actions le nouveau gouvernement fédéral devrait-il envisager ?
Étant donné la taille de l’Allemagne comparée aux États-Unis, il est essentiel que l’Europe parle d’une seule voix. La politique commerciale doit être une compétence européenne, avec l’Allemagne et la France en tête. La question cruciale est de savoir jusqu’où céder face aux demandes de Donald Trump, et quand il convient de réagir. Faut-il lui donner une victoire à court terme ou résister en montrant que l’Europe est un partenaire économique de taille égale ? Imposerons-nous des droits de douane spécifiques sur certains produits américains pour éviter une escalade ? Ces questions stratégiques demeurent sans réponses claires.
Comment devrions-nous aborder cette question stratégique : céder ou résister ?
L’Europe doit résister. Les précédentes expériences avec Donald Trump montrent que céder ne fait qu’encourager davantage d’exigences. La meilleure approche pour éviter une escalade est de faire preuve d’une résistance intelligente, sans toutefois agir de manière plus agressive que nécessaire. Nous devons cibler certains produits ou régions sensibles qui pourraient être touchés par des contre-sanctions. Ce dont nous n’avons pas besoin, c’est d’une fragmentation où chaque pays agit selon sa propre politique nationale, ce qui ne fera que nuire à nos intérêts communs.
Faut-il repenser notre modèle économique orienté vers l’exportation ?
Non, notre modèle économique est solide, mais il dépend d’une Europe forte. Nous avons besoin d’un grand marché intérieur qui fonctionne efficacement et d’une politique économique unifiée en Europe. Pour que l’Allemagne continue à bénéficier de son modèle économique, il est crucial d’accroître l’intégration européenne, plutôt que de céder au nationalisme.
Comment pouvons-nous renforcer notre économie pour faire face à une guerre commerciale ?
Il est nécessaire d’augmenter considérablement les investissements. En cas de conflit commercial, le gouvernement allemand doit soutenir activement l’économie locale. Cela soulève la question de savoir comment nous pourrions nous défendre si nous ne pouvons pas nous endetter davantage.
Quelle est votre prévision économique face à l’imprévisibilité de Trump ?
Actuellement, nos prévisions indiquent une légère croissance de 0,2 % pour 2025, mais le risque d’une récession est élevé. Ce sont principalement l’industrie et les consommateurs, notamment ceux à faible revenu, qui subiront les conséquences des hausses de prix. Bien qu’il puisse y avoir des surprises positives, nous devons nous préparer à une année difficile en raison des facteurs incertains.