La situation actuelle en Suisse met en lumière la nécessité d’une politique énergétique équilibrée face aux pressions exercées par les aciéries en difficulté. Bien que le Conseil fédéral maintienne une approche non interventionniste, des parlementaires commencent à céder, cherchant à réduire les coûts d’électricité pour soutenir ces entreprises. Cette aide pourrait créer un précédent dangereux pour d’autres secteurs, soulignant l’urgence d’une politique énergétique garantissant des coûts raisonnables pour tous sans privilégier des acteurs spécifiques.
Il s’agit d’une illustration concrète de la situation actuelle. Le véritable test de l’honnêteté de notre économie et de notre politique repose sur le principe selon lequel la Suisse ne s’engage pas dans une politique industrielle active, mais s’efforce plutôt de créer un cadre favorable pour tous.
Ce principe a joué un rôle majeur dans la prospérité de la Suisse, favorisant la mobilité des travailleurs et du capital, qui ne restent pas ancrés dans des postes non compétitifs. Ainsi, l’économie est incitée à se concentrer sur des activités à forte valeur ajoutée, capables d’offrir des salaires élevés. Cela explique pourquoi l’industrie manufacturière représente encore 18 % de la production économique en Suisse, tandis qu’en France, où l’intervention de l’État est plus marquée, ce chiffre a chuté à 10 %.
Cependant, il semble que les fils et supports en acier occupent une position particulière dans ce paysage.
Une politique clientéliste régionale remplace les principes
Sans doute, le Conseil fédéral a maintenu une certaine rigueur face aux deux dernières aciéries suisses en difficulté, situées à Gerlafingen, dans le canton de Soleure, et à Emmenbrücke, dans le canton de Lucerne, qui comptent quelques centaines d’employés chacune. Il a renvoyé ces entreprises vers des instruments destinés à l’ensemble de l’industrie, comme le travail à temps partiel.
Cependant, sous la pression des aciéries, même les parlementaires d’ordinaire conservateurs semblent abandonner leurs principes. Par exemple, le conseiller national de l’UDC de Soleure, Christian Imark, exprime un désir ardent de sauver l’aciérie de Gerlafingen avec le soutien de son collègue du Centre, Pirmin Bischof. Dans la région centrale de la Suisse, même le PLR cède face aux aciers : Damian Müller, conseiller aux États lucernois, souhaite faire adopter d’urgence des règles spéciales au Parlement avant la fin de l’année, destinées à réduire le coût de l’électricité pour Swiss Steel à Emmenbrücke, afin d’assurer sa pérennité.
Les justifications pour l’exemption temporaire de certaines redevances de réseau sont à la fois astucieuses et transparentes. On parle de pertinence systémique, de sécurité et de protection de l’environnement. Ce dernier point est soulevé car les entreprises parmi les plus gros émetteurs de CO2 en Suisse se servent de ferraille. Pourtant, à moins de 150 kilomètres de la frontière nationale, on trouve vingt aciéries qui produisent environ douze fois plus que les deux aciéries suisses réunies, tout en utilisant également de la ferraille, comme l’a récemment souligné Eric Scheidegger, économiste en chef de la Confédération.
La nécessité d’une politique énergétique équilibrée
La décarbonisation de l’économie, associée à une offre d’électricité qui peine à suivre une demande en hausse, entraîne une hausse des prix de l’électricité. Cela complique la tâche des entreprises énergivores pour rester compétitives. Elles peuvent tenter de se spécialiser dans des produits et de vendre des biens fabriqués avec de l’électricité verte à des prix supérieurs. Si elles échouent dans cette démarche, leurs chances de survie sur le marché à moyen terme se réduisent considérablement.
Quoi qu’il en soit, que ce soit les contribuables ou d’autres consommateurs qui financent la subvention des coûts d’électricité des aciéries, cette aide risque de n’être guère durable. Pire encore, cela pourrait signifier la fin d’une politique industrielle renoncée. Car cette fois-ci, il ne s’agit pas d’éviter une crise financière majeure ou un effondrement de l’approvisionnement électrique. Comment pourrions-nous, à l’avenir, refuser un soutien étatique à une autre entreprise en difficulté, simplement parce qu’elle ne compte que quelques centaines d’employés ? Et pourquoi ne pas également soutenir un petit boulanger face à des coûts d’électricité prohibitifs ?
La Suisse a un besoin urgent d’une politique énergétique qui garantisse des coûts d’électricité raisonnables pour tous. Il est essentiel d’éviter que, sous la pression de quelques vieux hauts-fourneaux, les décisions politiques ne favorisent la survie de quelques individus bien connectés, aux dépens des autres.