Titre : La BNS et le dilemme du sauvetage : Comment la crainte de l’assistance a précipité la chute de Credit Suisse.

Titre : La BNS et le dilemme du sauvetage : Comment la crainte de l'assistance a précipité la chute de Credit Suisse.

L’évolution des crises bancaires, illustrée par la chute de Credit Suisse, révèle des schémas récurrents de pénurie de liquidités. Malgré l’éligibilité à l’assistance de la Banque nationale suisse, Credit Suisse a refusé cette aide par crainte de stigmatisation. Le rapport de la commission d’enquête parlementaire appelle à des mesures pour réduire cette stigmatisation, notamment en ajustant les règles de divulgation concernant l’assistance à la liquidité extraordinaire. Des adaptations législatives seraient nécessaires pour protéger la transparence tout en préservant la confiance du marché.

L’évolution des institutions financières varie, mais la descente vers la crise suit souvent le même schéma : une banque se retrouve à court de liquidités. À un moment donné, le flux de capitaux devient si important et rapide que les ressources financières ne suffisent plus à couvrir toutes les obligations.

La décision de la Credit Suisse

Ce schéma a été clairement observable lors de la chute de Credit Suisse, comme l’indique le rapport récemment publié par la commission d’enquête parlementaire (PUK). À partir d’octobre 2022, la confiance envers la CS s’est fortement érodée, entraînant une fuite massive de liquidités et une pénurie de fonds disponibles.

Étant donné que les crises bancaires sont un phénomène connu depuis longtemps, les autorités cherchent à s’en prémunir. Les banques centrales jouent un rôle crucial en tant que « prêteurs de dernier recours », fournissant des liquidités aux banques en difficulté lorsque celles-ci ne peuvent plus obtenir de fonds sur le marché.

Pour Credit Suisse, cette assistance n’a pas été suffisante. Deux raisons principales expliquent cette situation : tout d’abord, la CS n’a pas préparé suffisamment de garanties à déposer auprès de la Banque nationale suisse (BNS) pour bénéficier de ce soutien. Ensuite, la banque a fait le choix délibéré de ne pas demander d’aide à la liquidité.

Le rapport de la PUK souligne que, entre octobre et décembre 2022, Credit Suisse a refusé à trois reprises de solliciter l’assistance à la liquidité extraordinaire (ELA) de la BNS, malgré son éligibilité et un besoin urgent dû aux flux de capitaux sortants.

Le cas de Northern Rock : un avertissement

Il peut sembler paradoxal qu’une banque en difficulté refuse une aide. Cependant, Credit Suisse avait des raisons valables. La peur de l’« effet stigmatisant » associé à une telle aide d’urgence était bien présente, comme le mentionne le rapport de la PUK. En effet, la banque aurait dû annoncer publiquement qu’elle sollicitait l’ELA.

Il est probable que le marché aurait interprété une demande d’assistance comme un signe de stabilisation, mais cela aurait également pu être vu comme un indicateur de faiblesse. Les clients auraient pu devenir encore plus anxieux en réalisant que leur argent était dans une banque ayant besoin de soutien de la BNS.

L’utilisation d’une aide à la liquidité extraordinaire est souvent accompagnée d’une stigmatisation : lorsque le public apprend qu’une banque en fait usage, cela peut accentuer les retraits de fonds et aggraver la crise. Ce qui devrait être perçu comme une aide peut se transformer en catalyseur de la crise.

Ce phénomène n’est pas une hypothèse, mais une réalité avérée. Un exemple emblématique reste celui de Northern Rock, une banque britannique ayant demandé une aide à la liquidité auprès de la Banque d’Angleterre en septembre 2007. La nouvelle de cette demande a provoqué une ruée des clients vers la banque, entraînant un assèchement encore plus marqué de la liquidité, ce qui a conduit à sa nationalisation.

Appels à l’action de la PUK

En conséquence, les banques hésitent souvent à solliciter de l’aide ou la retardent jusqu’à ce qu’il soit trop tard. Ce fut également le cas pour Credit Suisse, qui n’a demandé l’ELA que le 16 mars 2023, à un moment où la situation était déjà désespérée et où il ne restait plus qu’à organiser le sauvetage de la banque par UBS.

La PUK est d’avis que l’instrument de l’ELA « dans sa forme actuelle ne peut pas atteindre ses objectifs dans tous les cas ». Elle a donc demandé au Conseil fédéral, par le biais d’une motion, de « prendre des mesures pour réduire la stigmatisation liée à l’utilisation de l’ELA ».

La Banque nationale est consciente des effets potentiellement négatifs de son aide. Le rapport de la PUK révèle qu’entre octobre et décembre 2022, elle a exploré avec la CS des moyens de fournir des liquidités sans utiliser les termes sensibles « ELA » ou « aide à la liquidité extraordinaire ».

Cependant, cette initiative a échoué. La PUK a constaté que la « désignation formelle » de l’aide à la BNS aurait dû être communiquée, même si un nom moins inquiétant avait été proposé.

Stratégies pour réduire la stigmatisation

La demande du Conseil fédéral de lutter contre la stigmatisation de l’ELA a reçu un accueil positif. Il a déjà recommandé d’accepter la motion de la PUK. Dans son propre rapport sur la stabilité bancaire, le Conseil fédéral avait également évoqué, en avril 2024, des mesures pour atténuer ce problème.

Quelles pourraient être ces mesures ? Le Conseil fédéral évoque un possible ajustement des règles de divulgation. Par exemple, l’ancien banquier central britannique Paul Tucker suggère que l’utilisation de l’ELA ne soit annoncée qu’une fois que cela n’a plus d’impact négatif pour la banque.

Une telle restriction de la divulgation permettrait à une banque en difficulté de disposer d’un temps précieux pour adresser la cause des retraits de fonds, sans alerter le marché. Cependant, cette dissimulation pourrait nuire à la transparence, ce qui n’est pas idéal pour la confiance dans le système bancaire.

Pour que l’ELA ne soit pas immédiatement rendue publique, des adaptations législatives seraient nécessaires, y compris à l’international. Actuellement, les banques peuvent être tenues de divulguer l’ELA en raison des obligations de communication, car cela est pertinent pour les marchés financiers. La BNS, quant à elle, est également soumise à des exigences de transparence.